La revanche "du chien"

 La_revanche_du_chien

Je suis un chien créole, de couleur beige, un chien jaune comme on disait avant tous les mélanges avec les copains venus de métropole. Je vivais en Guadeloupe, à Petit Havre, en haut de la côte qui descendait vers la plage. Oh, je n’étais pas malheureux, comparé à certains, je mangeais à ma faim, j’avais un grand jardin ombragé, une terrasse pour m’abriter des intempéries. Mais je n’étais pas particulièrement heureux.

Je suis arrivé là, un jour, et les gens qui habitaient la maison m’ont offert le couvert. J’étais nourri convenablement mais ma place était dans le jardin. J’essayais bien de leur faire plaisir, je gardais bien leur propriété espérant recevoir un peu plus d’attention, quelques caresses, pouvoir entrer avec eux mais rien n’y a fait, je suis resté dehors.

Un jour, ils ont préparé leurs bagages, rassemblé les meubles et sont partis, me laissant seul … sans se préoccuper de ce que j’allais devenir. Je suis devenu le gardien d’une maison vide.

C’est très fréquent en Guadeloupe que les gens venus de métropole laissent les animaux dans les maisons, chiens ou chats d’ailleurs. Les occupants successifs prennent la ménagerie avec la maison mais bien rares sont les chiens ou chats qui font réellement partie de la famille.

Je suis resté là, longtemps, bien trop longtemps à mon goût. J’avais faim, soif aussi mais j’arrivais à m’abreuver un peu dans les flaques quand il pleuvait.

De temps en temps, je voyais des personnes arriver, elles faisaient le tour de la maison et repartaient. Certains me chassaient, d’autres me parlaient doucement ne comprenant pas ce que je faisais là.

Une nouvelle famille est arrivée avec un autre chien, un énorme chien de berger, un bobtail je crois, il avait très chaud sous les tropiques, trop chaud le pauvre mais bon si ses maîtres l’avaient amené là c’est qu’ils l’aimaient. Cela me donna de l’espoir. Aurais-je la chance qu’ils m’aiment aussi ?  Ils étaient sympas avec moi, rien à dire, ils se sont bien occupés de moi. J’avais droit à quelques caresses en passant et ils m’ont même donné un nom « le chien ».

Mais je ne suis jamais rentré dans la maison, je ne pouvais pas suivre mon copain le bobtail qui, lui, avait le droit d’y pénétrer. J’attendais donc qu’il sorte pour me tenir compagnie et jouer un peu avec lui.

Je le répète, je ne me plains pas, les créoles n’ont pas tous la chance d’avoir le gîte et le couvert mais un chien n’est pas fait pour vivre seul. Seules les quelques heures passées avec le gros berger  me procuraient un peu de joie. Mais il était souvent à l’intérieur car il y faisait moins chaud me disait-il. Je n’ai jamais compris pourquoi.

Et l’histoire se répéta, inexorablement, je vis valser les meubles, mais cette fois les occupants de mon jardin … je ne peux pas dire ma maison, je ne sais même pas comment elle est à l’intérieur …  ne m’y ont pas laissé. Ils avaient du cœur, je n’ai jamais compris pourquoi je ne suis pas devenu leur chien au lieu du chien mais je ne peux pas les blâmer.

Ils m’ont emmené chez un vétérinaire. Après quelques manipulations, quelques piqûres j’ai été mis dans une cage, j’y suis resté quelques temps, ce n’était pas drôle. Habitué à vivre libre, je m’ennuyais à mourir et surtout je me demandais ce que je faisais là.

Puis un jour, je fus emmené dans le ventre d’un grand oiseau blanc. J’y suis resté une nuit entière, à moitié endormi, je n‘avais pas les idées très claires.

J’ai compris, bien plus tard, que moi aussi j’étais en métropole, le chien, le gardien, la sonnette avait enfin sa revanche, lui aussi avait fait le grand voyage, lui aussi découvrait ce pays qu’on appelle la France ! Depuis je me demande souvent si en Guadeloupe on est vraiment en France ? 

Le bonheur a fini par arriver. Quelques temps plus tard, j’ai fait la connaissance de mes maîtres, je suis enfin reconnu comme faisant partie intégrante d’une famille. J’ai enfin le droit de pénétrer dans une maison, j’ai découvert tout avec une grande curiosité. J’ai droit à des caresses très souvent, on me parle, j’ai un grand coussin pour dormir et aussi j’ai un nouveau nom, beaucoup plus doux que « le chien » je m’appelle à présent Maïpi.  Je suis le plus heureux des créoles en métropole, c’est peut-être un peu prétentieux mais je suis tellement bien que je ne pense pas que qu’un autre chien puisse l’être davantage.

Si je voue une reconnaissance sans limite et un amour profond à mes maîtres aujourd’hui, j’ai parfois une pensée pour les derniers habitants de la maison en Guadeloupe … c’est aussi grâce à eux que je suis heureux.