Boulie, petit marie-galantais

6 avril 2017

Je suis un beau créole mais je suis prognathe, ma mâchoire inférieure est plus avancée que celle de dessus.

Je faisais donc peur à mon entourage qui m’avait relégué dans un coin. J’ai été complètement isolé et attaché très court depuis que je suis tout petit.

Je ne connaissais pas la liberté, je ne bougeais pratiquement pas, ma chaîne était trop petite pour me le permettre.

Personne ne s’occupait de moi ni même s’intéressait à moi. J’ai, de ce fait, adopté et conservé une attitude très méfiante envers l’humain.

Une gentille dame qui n’habitait pas très loin s’inquiétait pour moi et passait souvent me voir.

Au bout d’un certain temps, d’un long temps, elle a réussi à convaincre mes propriétaires de me céder à ses bons soins. Je suis né en Janvier 2014 et je suis parti en Octobre 2015. J’ai donc quasiment passé les deux premières années de ma vie dans ces tristes conditions.

Elle m’a emmené chez elle mais m’a expliqué qu’elle ne pourrait pas me garder, il y a tant d’animaux à sauver sur l’île.

Elle s’était beaucoup attachée à moi et parle encore souvent de moi aujourd’hui.

Je ne l’ai pas oubliée non plus. Grâce à elle j’ai découvert la douceur de l’être humain. Je ne me laissais pas toucher mais elle a su gagner ma confiance grâce à la tendresse qu’elle me témoignait.

Elle m’a donc préparé pour partir vers la métropole et me disait que le bonheur serait au bout du grand voyage.

Je suis donc arrivé dans un refuge en Lorraine, et j’attendais patiemment la gentille famille promise par la douce dame qui veillait sur moi.

Et le mercredi 28 Octobre 2015 :

J’étais dans mon box, je regardais calmement les visiteurs faire le tour des cages.

Il y avait beaucoup de monde ce jour-là mais personne ne me regardait.

Je sais que mes dents en avant me donnent un air bizarre et peuvent me faire passer pour agressif peut-être.

Je restais sur ma réserve et ne m’avançais pas non plus à vrai dire. Mon passé m’a appris à me méfier des inconnus.

Une famille est passée devant moi sans me voir. Ma copine Cannelle, qui partage mon box, est venue à la rencontre des deux petits garçons qui, contents, commençaient à lui parler.

Je restais en retrait et les observais du coin de l’œil.

Quelques temps après on est venu me chercher pour me présenter à quelqu’un. Moi ?

Oui apparemment !

Le couple voulait un chien calme, un chien qui accepte les enfants et s’entend bien avec les chats. En rentrant dans la pièce, je me suis fait tout petit, j’ai reconnu la dame mais je n’osais pas m’approcher d’elle.

Elle s’est baissée pourtant et m’appelait doucement. En vain, je préférais rester à côté des personnes que je connaissais, on ne sait jamais !

Ne me laissant pas le choix, elle m’a entraîné dehors. J’ai vu un grand monsieur avec deux gamins. Il est venu vers moi un peu trop vite à mon goût et je me suis vite caché derrière les jambes de la dame, je n’avais pas d’autre issue.

Il n’insista pas car l’employé du refuge leur a alors conseillé de marcher devant et de me laisser faire.

Au loin, j’ai vu arriver une copine-chienne avec les bénévoles qui s’occupent de nous.

Ensuite, selon ce que j’ai compris, ils parlaient de choisir entre elle et moi.

Je restais sagement assis pendant que les enfants caressaient ma copine et lui parlaient. J’avais toujours autant peur de m’approcher d’eux.

J’entendis le couple dire que mon calme, ma mâchoire en avant, mon histoire qu’ils venaient d’apprendre les faisaient pencher pour moi. Moi ? Ils me préféraient moi ?

Enfin c’étaient de bien grands mots ou je n’ai pas compris car après une heure de promenade ils m’ont ramené au refuge et je suis reparti dans mon box. Retour à la case départ.

Pas vraiment car je les ai vus revenir, la dame s’est abaissée et m’a appelé. Elle m’a expliqué qu’ils allaient revenir autant de fois qu’il le faudrait pour que je sois à l’aise avec tout le monde.

Tu as entendu Boulie ? Il va falloir que tu fasses un effort si tu veux partir avec cette famille ! Je me répétais ça !

Et ils ont tenu parole, les jours suivants ils sont revenus tous les quatre pour me promener, me parler. Je ne me laissais pas caresser tout le temps mais ils semblaient comprendre.

Un jour, ils m’ont prévenu qu’ils ne viendraient pas car je devais aller chez le vétérinaire mais que le mardi suivant, le 3 Novembre, je pourrais quitter le refuge avec eux.

Je n’en croyais pas mes oreilles !

Effectivement, le mardi ils sont venus me chercher, sans les garçons. Le personnel du refuge m’a dit au revoir et j’ai suivi le couple, enfin plutôt la dame car j’évitais toujours le grand monsieur.

Je m’étais déjà un peu habitué à eux malgré tout.

Arrivé dans la maison, mon premier « chez moi », j’ai paniqué, j’ai couru vers la porte fenêtre pour me sauver. Elle était fermée, je me suis donc cogné et j’ai fait peur à tout le monde. Ils ont vite ouvert pour que je ne me sente pas prisonnier.

J’avais bien vu un grand panier dans l’entrée mais c’était trop nouveau pour que je réalise.

Les débuts ont été difficiles pour moi qui avais peur même de mon ombre.

Lors des premières sorties le moindre bruit me faisait sursauter, je tirais comme un malade pour rentrer. Je ne me sentais en sécurité qu’à l’intérieur.

Ce que j’aimais, plus que tout, c’était être près de ma nouvelle maman.

C’est elle qui me promenait pour m’habituer à l’extérieur et que je n’aie plus peur.

Elle m’encourageait dès que je paniquais. Elle me câlinait.

Tout doucement j’ai pris confiance. J’ai laissé les enfants me caresser.

Puis ce fut le monsieur qui m’emmena en balade.

Maintenant je vais partout avec eux. Je fais partie de la famille.

J’ai même une mamie gâteau ! Oui, oui … Comme quoi il ne faut jamais perdre espoir !

Un jour maman a reçu un message d’une dame qui lui a dit m’avoir vu arriver au refuge. J’étais prostré dans mon coin, sans bouger et je l’avais touchée.

Elle-même avait adopté une petite créole. Maman l’a rassurée en lui disant que maintenant j’allais bien, j’avais repris du poids, je souriais et courais tout le temps.

Elle lui a proposé une rencontre. Et c’est ainsi que j’ai rencontré Star, une jeune chienne encore fofolle, qui courait partout, qui léchait tout le monde et surtout qui est devenue mon amie.

On joue comme des fous tous les deux maintenant, enfin moi je joue 20 minutes seulement car je me fatigue vite. Star m’embête pour continuer mais je suis un vrai chien de salon comme dit ma maman.

En juin 2016, je me suis fait très mal en courant. Je ne pouvais plus poser ma patte.Maman a paniqué et m’a emmené chez le docteur. J’avais une rupture du ligament croisé et j’ai dû être opéré.

Je me souviens du soir où toute la famille était autour de la table et que maman a dit aux enfants que cet été il n’y aurait pas de vacances.

Le grand garçon a demandé pourquoi. Elle a alors expliqué qu’on ne pouvait pas quitter la maison car il fallait me soigner. Elle a poursuivi en disant que s’ils préféraient partir je devrais retourner au refuge.

Les enfants ont choisi de ne pas aller en vacances ! C’était aussi simple que ça !

Moi, le pauvre créole, attaché, oublié au fond du jardin sur mon île, j’ai trouvé une famille où les enfants n’hésitent pas à se priver de vacances pour me garder !

L'opération a été dure mais la convalescence encore plus. Deux mois après, je ne marchais toujours pas et maman m’a parlé comme elle le fait souvent d'ailleurs. Elle m’a regardé dans les yeux et m’a dit : « Tu n’as pas le choix Boulie, il faut que tu poses ta patte ». Et à partir de là, elle m’a fait marcher trois fois par jour, en laisse courte. Elle me donnait des récompenses quand je posais la patte.

Il faut dire qu'elle est tenace ma maman, quand elle décide quelque chose, c’est rare qu'elle baisse les bras. Si aujourd'hui je peux à nouveau courir c’est vraiment grâce à elle. Merci maman.