De Mouna à Kiara

26 mai 2017

J’étais une pauvre créole, abandonnée dans une cité à Basse Terre, en Guadeloupe.

Je risquais à tout moment d’être emmenée par la fourrière car je dérangeais les riverains.

Une gentille jeune fille me nourrissait, c’était ma planche de salut. Dès que je la voyais arriver, je la suivais jusqu’à chez elle. Elle habitait au 3^ème étage de l’immeuble, je me couchais devant sa porte. J’avais tellement envie qu’elle me prenne avec elle, je ne voulais plus rester dehors à me faire chasser à longueur de journée.

Je ne savais pas que cette charmante personne avait contacté une association de protection animale. Un jour, je vis arriver une des fées qui consacrent leur vie à sauver les animaux abandonnés et errants sur l’île.

Je me suis laissée emmener, anxieuse malgré tout.

Tout est allé très vite ensuite, identifiée chez le vétérinaire au nom de Mouna, j’ai été préparée pour le grand voyage vers la métropole.

Après de longues heures dans la soute d’un avion et un voyage en voiture, je me suis retrouvée dans un refuge en Lorraine.

J’étais assez perdue je vous l’avoue, mais depuis mon départ de Basse Terre je ne rencontrais que des personnes bienveillantes alors je ne stressais pas trop.

La chance a continué à me sourire, après seulement trois jours dans le refuge, je vis arriver ceux qui allaient m’offrir la vie dont tout animal peut rêver.

C’était le jour de la fête des mères mais ce fut aussi la mienne !

La dame avait perdu Pit, sa chienne adorée, son âme sœur, deux ans auparavant.

La chatte d’une de leurs connaissances venait de faire des petits et ils avaient décidé d’en adopter un. Alors qu’ils allaient rentrer dans un magasin pour acquérir un arbre à chat, ils virent un panneau « Portes ouvertes ce week-end au refuge ».

Ils hésitèrent car c’est très dur de voir tous ces animaux en cage. Finalement, guidés par je ne sais quel instinct, ils firent demi-tour et décidèrent d'y aller. La dame a fondu en larmes en voyant les chiens, en demande d’amour, pleurer derrière les grilles. Les chats, eux, plus indépendants de nature, se prélassaient au soleil dans la chatterie. Visiblement les chiens souffraient plus de leur vie en cage.

Ils firent le tour du refuge et repartirent.

Dès le lendemain, jour de la fête des mères donc, le couple envisageait sérieusement d’adopter un chien. Il y avait un autre refuge dans le département à une heure de route. Ils s’y rendirent. C’était là que je me trouvais !

La jeune femme suivait, sur internet, les chiens de Guadeloupe depuis un moment. Il pleuvait beaucoup de jour-là, il y avait du vent, elle pensa que ce n’était pas un temps pour nous les créoles.

Cage après cage, ils firent des allers retours, avant de réaliser qu’ils étaient passés plusieurs fois devant l’une d’elles sans s’attarder. Et pour cause, je restais assise au fond de mon box, sans me faire remarquer, sans me précipiter comme les autres à grand renfort de sauts et aboiements.

Et ils me découvrirent alors, ce ne fut pas le coup de foudre. La dame, n’ayant toujours pas fait le deuil de Pit, ne pouvait pas craquer pour une autre mais elle se dit que la petite Mouna serait mieux chez eux.

Ils vivaient en appartement et souhaitaient un chien calme. Je fus sortie de mon box, je semblais répondre à leurs attentes je suis douce, pas agressive, facilement éducable. Le monsieur du refuge leur proposa de me prendre à l’essai quelques semaines. Mais la jeune femme s’offusqua « Non, on vient adopter un chien, pas tester une voiture ! S’il y a un souci on travaillera c’est tout ». Elle avait toujours eu des animaux et fut choquée.

Quand j’ai entendu cela, j’ai pensé que si elle m’emmenait chez elle, je ne lui poserais aucun problème mais j’étais contente qu’elle ne veuille pas me prendre à l’essai. Elle m’inspira aussitôt confiance.

Beaucoup plus tard, après réflexion, elle s’est dit que c’était malgré tout une proposition raisonnable, car j’étais dans un appartement, j’aurais pu aboyer toute la journée pendant leur absence et déranger les voisins.

Je partis donc ce jour-là dans mon foyer. C’était le 26 Mai 2013.

Une fois arrivés, celle qui était devenue ma maîtresse m’a littéralement appris la vie.

Comme je ne répondais pas à mon nom, elle décida de m’appeler Kiara pour marquer le début de ma nouvelle existence.

Je ne savais même pas jouer avec mon os, je n’avais jamais eu de jouets jusqu’ici.

J’étais dépassée par tout ce que l’on m’offrait, personne n’avait jamais daigné me faire des cadeaux, je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait.

Je suis restée seule pendant que mes maîtres partaient travailler, je n’ai jamais couiné. Je me suis révélée être une bonne et brave chienne.

Je me sentais en sécurité dans cet appartement pourquoi aurais-je pleuré ? Je ne m’étais jamais sentie aussi bien.

Ceux qui ont connu la misère en Guadeloupe me comprendraient.

Mes maîtres m’ont emmenée au dressage avec les jeunes chiots, j’avais trois ans mais je commençais seulement à vivre, j’avais tout à apprendre.

Je suis devenue gourmande, aujourd’hui pour avoir une friandise je ferais n’importe quoi.

Je participe à tous les événements dans ma famille. Aux grandes occasions je me mets moi aussi sur mon 31 !

Ma maîtresse a contacté la jeune fille qui me nourrissait à Basse-Terre. Cette dernière lui a raconté mon histoire, elle était ravie d’avoir de mes nouvelles.

Elle a retrouvé mon propriétaire mais il se fichait pas mal de savoir ce que j’étais devenue. Tout le monde n’éprouve pas les mêmes sentiments à l’égard des animaux malheureusement.

Maintenant, je suis avec des maîtres qui prennent soin de moi et je leur en serai reconnaissante jusqu’à mon dernier souffle.

Je fais de l’agility, je suis très douée.

Je me dépense, je cours, je nage, je vis !

Ma maîtresse qui refusait de s’attacher à un animal depuis la perte de Pit n’a pas mis longtemps à m’aimer.

Maintenant elle ne rêve plus de son ancienne chienne, je lui ai permis de faire le deuil.

Le meilleur hommage qu’elle pouvait lui rendre était d'apporter du bonheur à un autre animal et croyez-moi c’est réussi.

Depuis un an, nous avons déménagé dans une jolie maison. Je partage désormais ma vie avec deux chatons trouvés errants dans le jardin.

J’ai senti qu’ils étaient en danger et je les ai protégés. On ne se quitte plus, ils s’appellent Mochi et Curly.

Bientôt nous accueillerons trois poules issues d’un élevage industriel pour leur éviter l’abattoir. Elles découvriront enfin la joie de vivre en liberté.

Nous sommes tous des rescapés.

A vous tous qui me lisez de Guadeloupe et d’ailleurs, je vous fais de grosses léchouilles.

Kiara, la petite créole épanouie et heureuse.